Rapport de cas : phorie verticale et prescription de prismes
OptoMag
15 mars 2017, Valentine DagonMars 2017 – DAGON Valentine
RÉSUMÉ
Objectif
Description de l’examen de la vision binoculaire d’un patient présentant une phorie verticale et prise de décision concernant la correction à prescrire.
Patients et méthodes
Patient de 37 ans, n’ayant jamais porté de lunettes, présentant des signes d’asténopie et des maux de tête depuis plusieurs années. Plusieurs examens médicaux et neurologiques ont été effectués et se sont révélés négatifs. Un examen oculaire complet lui a été prescrit par son généraliste. Après une consultation ophtalmologique, le patient nous a été adressé pour un examen de vue.
Résultats et discussion
Suite à l’examen optométrique, des lunettes avec prismes verticaux ont été prescrites. Un contrôle a été effectué après 1 mois de port, puis le patient a été vu après 1 année.
Conclusion
Les symptômes d’asténopie ont été considérablement atténués grâce au port de lunettes avec correction prismatique verticale.
Mots-clés
Phorie verticale, prisme vertical, vision binoculaire
Conflit d’intérêts
Aucun
INTRODUCTION
Dans notre pratique quotidienne, nous sommes régulièrement confrontés à des patients se plaignant d’asténopie et de maux de tête. Ces symptômes ne sont pas à prendre à la légère et demandent que l’on y prête attention.
Les causes de ces symptômes peuvent être d’origine visuelle ou oculaire, mais peuvent également découler de pathologies diverses qui nécessitent l’intervention d’un professionnel de la santé approprié.
PATIENT ET MÉTHODES
Le patient, âgé de 37 ans, présente une asténopie lors de longs travaux en vision de près et souffre de maux de tête presque quotidiens depuis plusieurs années.
Il a décidé de consulter son médecin généraliste afin de déterminer la cause de ses maux de tête fréquents qui le gênent depuis 5 à 6 ans. Celui-ci a écarté toute pathologie d’ordre général. Il a ensuite adressé le patient à un neurologue ainsi qu’à un ophtalmologue qui ont tous deux effectué des bilans complets qui se sont avérés négatifs.
Il s’est présenté au magasin avec une ordonnance de l’ophtalmologue qui précisait de contrôler la correction :
Sph |
Cyl |
Axe | |
OD |
+0.50 |
-0,50 |
180 ° |
OG |
+0.50 |
-0,50 |
145 ° |
Anamnèse
La vision est nette en tout temps et à toutes distances.
En tant que laborant, il passe beaucoup de temps en vision rapprochée ou derrière un microscope, mais également à analyser des données sur des supports informatiques. Il mentionne une asténopie plus marquée en semaine que durant les week-ends. Les maux de tête sont fréquents (presque quotidiens), et gênent le patient également durant ses jours de repos. Les maux de tête sont difficiles à localiser, mais il semble qu’ils débutent dans la région frontale pour s’étendre ensuite à tout le crâne.
Il souffre d’une diplopie binoculaire passagère quand les maux de tête sont très forts et que la sollicitation visuelle est extrême. La diplopie disparaît après quelques clignements ou en changeant de point de fixation. Le patient n’arrive pas à déterminer si le dédoublement des images est plutôt horizontal ou vertical. Le patient n’a jamais porté de lunettes. Il ne suit pas de traitement régulier. Il ne prend que rarement des analgésiques (paracétamol) pour calmer ses maux de tête, car ceux-ci sont peu efficaces. Il ne souffre d’aucune pathologie oculaire ni d’antécédents. Il n’y a rien à signaler du côté des antécédents familiaux oculaires. Du côté de la santé générale, son père souffre d’hypertension artérielle.
Diagnostic différentiel
Toute cause pathologique ayant été écartée par les différents spécialistes consultés au préalable :
- amétropie
- problème de vision binoculaire
- (ou les deux)
RÉSULTATS
Tests préliminaires
Cover test :
- Masquage : RAS
- Démasquage :
- Au démasquage de l’OD : on aperçoit une hyperphorie de celui-ci
- Au démasquage de l’OG : on aperçoit, comme prévu, une hypophorie de celui-ci
- Alterné : idem
- Subjectivement : le patient perçoit un déplacement de l’image très marqué verticalement et léger horizontalement (tendance esophore).
Tous les autres tests (motilités, pupilles, PPC, confrontations) sont normaux.
Biomicroscopie
Examen du segment antérieur : RAS
Examen du segment postérieur : RAS
Réfraction
Sph |
Cyl |
Axe | |
OD |
plan |
-0.50 |
180 ° |
OG |
plan |
-0.50 |
145 ° |
Vsc |
Sph |
Cyl |
Axe |
AA |
Vcc |
Vbino | |
OD |
1,0 |
plan |
-0.50 |
5 ° |
6 dpt |
1,2 |
1,2 |
OG |
1,0 |
plan |
-0.50 |
150 ° |
6 dpt |
1,2 |
Au vu des résultats obtenus, un examen plus complet de la vision binoculaire s’est avéré nécessaire.
En effet, la phorie verticale remarquée au cover test nécessite d’être approfondie afin de déterminer si elle est bien compensée ou si au contraire elle pourrait être la cause des symptômes évoqués par le patient.
Tests complémentaires
Nous commençons par les tests effectués derrière le phoroptère.
Stéréopsie
Un test de stéréopsie au loin nous indique qu’il n’y a pas de grosse perte (≤ 60’’).
Vision simultanée
Un test polarisé pour le contrôle de la vision simultanée au loin nous montre qu’il n’y a pas de suppression car toutes les lettres sont vues.
Von Graefe
Afin de quantifier les phories dissociées du patient, nous commençons avec la méthode de Von Graefe, en vision de loin :
- Il ne semble pas y avoir de cyclophorie, car les deux lignes semblent parallèles pour le patient.
- Horizontalement, nous obtenons une ésophorie de 2 Δ
- Verticalement, nous obtenons une hyperphorie de l’OD de 6 Δ
En vision de près :
- Horizontalement, nous obtenons, cette fois-ci, une exophorie de 3 Δ
- Verticalement, nous retrouvons notre hyperphorie de l’OD de 6 Δ
Maddox
Nous mesurons à nouveau la phorie verticale à l’aide du cylindre de Maddox. En effet, l’analyse de l’alignement des deux lignes avec la méthode de Von Graefe n’est subjectivement pas facile donc nous souhaitons vérifier la valeur trouvée avec une autre méthode.[1]
Nous obtenons ici également une valeur de 6Δ base en bas pour l’OD.
Test de phories associées
Nous utilisons une croix polarisée avec cercle fusionnel central pour estimer les phories associées.
Verticalement le décalage correspond à l’hyperphorie de l’OD. Le prisme minimum pour aligner les traits est de 5Δ base inférieure sur l’OD. Aucun décalage horizontal n’est constaté.
Mesure des vergences relatives
Nous souhaitons quantifier les vergences fusionnelles disponibles en VL :
- Horizontalement :
- Vergence relative négative : x / 6 / 4
- Vergence relative positive : 7 / 16 / 10
- Verticalement :
- Base en bas (devant l’OD) : x / 8 / 4
- Base en haut (devant l’OD) : x / 1 / x*
*Ici, le recouvrement est difficile. Il n’intervient que lorsque nous passons à 3Δ base en bas.
Nous effectuons les mêmes mesures en VP :
- Horizontalement :
- Vergence relative négative : 12 / 19 / 10
- Vergence relative positive : 16 / 20 / 14
- Verticalement :
- Base en bas (devant l’OD) : x / 8 / 4
- Base en haut (devant l’OD) : x / 1 / x*
*Le recouvrement est nouveau difficile. Il n’intervient que lorsque nous passons à 3Δ base en bas.
Nous terminons par quelques tests à la lunette d’essai, avec la correction d’astigmatisme trouvée mise en place :
Test des doubles cylindres de Maddox
La cyclophorie étant souvent associée à la phorie verticale de par l’action de torsion des muscles droits verticaux [2] , nous contrôlons plus précisément le phénomène en plaçant deux cylindres de Maddox dans la lunette d’essai.
Ce test nous permet d’affirmer qu’il n’y a pas de cyclophorie chez ce patient, car il voit bien les deux lignes parallèles.
Essai de la correction avec la correction prismatique minimum mesurée au test de phorie associée
La vision est très confortable. Le patient sent une réelle différence avec et sans le prisme.
DISCUSSION
Le résultat au test de phorie associée ainsi que l’analyse des réserves fusionnelles opposées aux phories horizontales, nous indique qu’elles sont bien compensées.
Par contre, verticalement, ce n’est pas le cas. Nous prescrivons donc la correction trouvée au test de phorie associée.
Sph |
Cyl |
Axe |
Prisme |
Base | |
OD |
plan |
-0.50 |
5 ° |
2,50 |
270 ° |
OG |
plan |
-0.50 |
150 ° |
2,50 |
90 ° |
Après 1 mois de port constant des nouvelles lunettes, le patient n’a plus de symptômes d’asténopie. Il a souffert de quelques maux de tête isolés durant le mois.
Nous conseillons au patient de surveiller l’évolution des maux de tête et de continuer ses investigations si la gêne persiste.
Nous examinons le patient une année plus tard. Le patient ne se plaint plus d’asténopie. Quelques maux de tête le dérangent de manière sporadique.
Dans ce cas, le patient avait déjà effectué un bon suivi avant l’examen optométrique. Si le patient n’avait pas eu le suivi préalable, nous lui aurions conseillé une visite chez son médecin généraliste et chez son ophtalmologue à cause des symptômes de céphalée et de diplopie occasionnelle. Ces symptômes pouvant, en effet, être causés par de multiples causes qu’il est important de pouvoir déterminer ou diagnostiquer. Il serait intéressant de détailler…dans un prochain article pourquoi pas ?
Références
[1] Jean-Charles Allary (2012). Examen de la vision binoculaire, Cours d’optométrie (p. 10-93)
[2] Jean-Charles Allary (2012). Examen de la vision binoculaire, Cours d’optométrie (p. 10-91)