Le rôle de l’optométriste dans la détection des troubles de la proprioception

OptoMag| 13 janvier 2018, Samuel Avril

AOR_Optometrie

AVRIL Samuel

Janvier 2018

Mots-clés

Posture, vision, proprioception, optométrie, intégration multisensorielle, somesthésie.

RÉSUME

La proprioception est un « sens » intervenant dans la régulation posturale. Des capteurs répartis dans l’ensemble du corps permettent la prise d’information. La dysfonction des capteurs, du cheminement ou de l’analyse des informations proprioceptives peuvent être compensés par une ou plusieurs stimulations d’entrées proprioceptives. De nombreux professionnels peuvent intervenir pour la prise en charge des troubles de la proprioception, dont les professionnels de la vision à travers les prismes posturaux.

INTRODUCTION

Afin de déterminer le rôle de l’optométriste dans la prise en charge des troubles de la proprioception, il faut dans un premier temps comprendre ce qu’est la proprioception, son rôle, et son fonctionnement.

« La proprioception est l’appréciation de la position, de l’équilibre et de ses modifications par le système musculaire, particulièrement lors de la locomotion. » 1

« Elle intervient dans trois fonctions :

  • régulation posturale
  • localisation spatiale
  • développement sensori-moteur. » 1

La proprioception s’intègre dans un système plus global qui permet de maintenir le contrôle postural du corps.

Figure 1 : Simplification de la « Représentation du modèle hiérarchique d’organisation du système postural. » 8

Nous allons nous intéresser particulièrement aux mécanorécepteurs proprioceptifs. Ils sont à l’origine de la proprioception ou sensibilité mécanique musculaire et articulaire permettant d’apporter des informations issues du corps. Ils répondent de façon permanente et codent la position des différentes parties du corps les unes par rapport aux autres. Ils sont sensibles aux mouvements, à la position et aux forces exercées. On distingue :

Les récepteurs musculaires.

  • Les fuseaux neuromusculaires situés dans la quasi-totalité des muscles striés. Ils sont sensibles à des variations inférieures au dixième de millimètre. 2
  • Les organes tendineux de Golgi situés entre les fibres musculaires et les tendons ou les aponévroses. Ils codent les variations de tension/force. 3-4-5

Les récepteurs articulaires situés dans les capsules articulaires et les ligaments.

  • Les organes de Golgi codant la position articulaire. 6
  • Les corpuscules de Ruffini codant les mouvements et positions. 6
  • Les corpuscules de Pacini codant la vitesse angulaire des articulations.6

Cette description montre bien que les troubles du système postural ne sont pas reliés à une seule partie du corps. En vue de la répartition des capteurs sur l’ensemble du corps, nous sommes sur un système qui recouvre plusieurs spécialités médicales (ophtalmologistes, physiothérapeutes, podologues, dentistes, optométristes…) Néanmoins, nous allons voir que l’optométriste peut jouer un rôle prépondérant dans le dépistage et le traitement des troubles proprioceptifs.

Dans les trois systèmes principaux agissant sur la posture (vision, vestibulaire, somesthésique), le système visuel fait pleinement partie du champ de compétence de l’optométriste à travers la nécessité d’une vision nette et efficiente.

De plus, les muscles oculomoteurs sont composés :

  • D’une couche externe s’insérant dans la capsule de Tenon
  • D’une couche interne insérée directement dans la sclérotique de l’œil
  • D’une couche marginale se situant entre les deux autres. 7

« Chacune comporte des récepteurs proprioceptifs spécifiques innervés par le trijumeau, des fuseaux neuromusculaires dans la couche externe, des terminaisons dites “en palissade” dans la couche interne et des organes de Golgi dans la couche marginale. La proprioception est donc fortement représentée pour les muscles extraoculaires. » 8

Figure 2 : Les muscles oculomoteurs, ici de l’œil droit après section du droit externe. D’après Goddé-Jolly et Dufier (1992). 8

Figure 3 : Le muscle extraoculaire (droit supérieur) divisé en trois couches : externe, marginale et interne contenant chacune des récepteurs proprioceptifs spécifiques garantissant une riche proprioception. D’après Büttner-Ennever et al. (2006), modifiée par Lê (2008). 8

PHYSIOPATHOLOGIE ET ÉTIOLOGIE

Une dysfonction proprioceptive aura des conséquences sur la posture, la localisation de son corps dans l’espace et par rapport à lui-même, ce qui donne des symptômes comme des douleurs chroniques non spécifiques, rachialgie, troubles de l’équilibre. Ces troubles apparaissent lorsqu’un conflit sensoriel est présent.

À l’heure actuelle, nous ne connaissons pas les raisons exactes des dysfonctions proprioceptives. Il n’est pas déterminé si c’est une dysfonction des capteurs, du cheminement de l’information ou si c’est au niveau cérébral dans les zones d’intégration multisensorielles.

MANIFESTATIONS CLINIQUES

Pour déterminer un trouble de la proprioception et plus largement de la posture, il est indispensable que le patient soit exempt de toute pathologie systémique, pathologie de l’œil ou d’autres organes. Nous travaillons sur un système en dysfonction, donc il devient pénalisant pour le patient quand son efficacité n’est plus suffisante pour couvrir les demandes environnementales. Quand la dysproprioception est présente, on retrouvera des troubles parfois à des degrés différents dans les trois fonctions proprioceptives 1 :

  • Asymétrie du tonus postural
  • Localisation spatiale anormale
  • Anomalie perceptive de développement

Pour réaliser une investigation plus précise et déterminer quelles sont la ou les parties du corps qui créent la dysfonction, il faut travailler sur ces trois axes.

L’asymétrie de tonus postural. Elle peut être testée par : le test de convergence podale, le test de rotation et extension de la tête, ou posturo-dynamique.1-8-9.

La localisation spatiale se teste avec le test des pseudo-scotomes directionnels au synoptophore, le test de la perception de la position des pieds et de l’appui podal, le test œil main. 1-8

Les anomalies perceptives se testent notamment en cherchant les pseudo scotomes à l’aide d’un synoptophore.10

Tous ces tests sont réalisables facilement par un optométriste formé, ce qui montre une fois de plus qu’il a un rôle central à jouer dans ce domaine.

TRAITEMENT

Le traitement se fait de façon pluridisciplinaire (optométriste, podologue, ophtalmologue, orthoptiste, ostéopathe, dentiste, physiothérapeutes…) Le contrôle et le suivi du traitement se font à travers des tests sur les trois fonctions proprioceptives. Les traitements réalisables par des professionnels de la vision sont des prismes posturaux.1 Ces prismes sont de faibles valeurs (1 à 3 dioptries). L’objectif est de stimuler les récepteurs proprioceptifs des muscles extraoculaires qui réagissent à de très faibles déviations. Si la déviation prismatique est trop importante, ces récepteurs ne joueront pas leur rôle.

Des semelles proprioceptives sont possibles dans le traitement. Les podologues prescriront des semelles spécifiques dans le but de stimuler les récepteurs proprioceptifs du pied. Les dentistes ont également un rôle à jouer à travers la pose d’alphs, qui sont de petites surélévations de résines collées sur les dents. Les alphs auront un rôle propriocepteur au niveau buccal. Les thérapeutes manuels sont importants pour éliminer les blocages du corps interférant dans les réflexes proprioceptifs.

Le traitement proprioceptif se fera en fonction des zones les plus réactives et permettant un équilibre tonique du corps. Le traitement peut consister à stimuler une ou plusieurs entrées proprioceptives en même temps. Une concertation interprofessionnelle est alors nécessaire pour une prise en charge efficiente.

CONCLUSION

Cette description nous permet de nous rendre compte que le rôle de l’optométriste dans le domaine de la prise en charge des troubles de la proprioception et de la posture est important.

RÉFÉRENCES

1-Quercia Patrick, « Traitement proprioceptif et dyslexie. » AF3dys Beaune 2008

2-Matthews PBC, Stein RB « The sensitivity of muscle spindle afferents to small sinusoidal changes in

length. » J Physiol 1969 200 : 723-743.3

3-Dietz V, Gollhofer A, Kleiber M, Trippel M « Regulation of bipedal stance : dependency on “load”

receptors. » Exp Brain Res 1992 89 : 229-231.

4-Massion J. « Movement, posture and equilibrium: interaction and coordination. » Prog Neurobiol 1992 38 (1) : 35-56.

5-Nicolas G, Marchand-Pauvert V, Lasserre V, Guihenneuc-Jovyaux C, Pierrot-Deseilligny E, Jami L

« Perception of non-volontary brief contractions in normal subjects and in deafferented patient. » Exp Brain Res 2005 161 (2) : 166-179.

6-Roll, « Sensibilités cutanées et musculaires ». Presse Universitaire de France 1994, pp 483-542.

7-Büttner-Ennever JA. « Progess in Brain Research : Neuroanatomy of the

Oculomotor System, » Vol 151, Elsevier Science Publishing Company, 2006, pp 1-574.

8-Matheron Eric « Incidence des phories verticales sur le contrôle postural en vision binoculaire » Thèse UNIVERSITÉ PARIS V – RENÉ DESCARTES, UFR Sciences et techniques des activités physiques et sportives. 2010

9-Pierre-Marie Gagey, Alain Scheibel, Philippe Villeneuve, Françoise Zamfirescu « Pratiques en posturologie » ELSEVIER, 2017

10-Martins da Cunhà H, Alves da Silva O. Syndrome de déficiences posturales. J Fr OPhtalmol, 186 ; 9 : 747-55.

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