Anisocories et degré d’urgence

OptoMag| 27 janvier 2018, Emilie Coinus Rossel

AOR_Optometrie

COINUS Emilie

Janvier 2018

RÉSUMÉ

L’examen des pupilles fait partie des examens préliminaires de base qu’il revient à l’optométriste d’effectuer, au minimum, lors de chaque première visite. Il peut révéler une anisocorie, parfois signe d’un problème aux répercussions neurologiques, potentiellement, mais heureusement, rarement sévère. Dans cet article. Nous vous proposons de revenir sur les bases anatomiques, afin de mieux comprendre la cause des principales anisocories et l’enjeu de son dépistage.

Mots-clés

Anisocorie, pupille, Syndrome de Claude Bernard Horner, CBH, Pupille d’Adie, paralysie du nerf oculomoteur, urgences en ophtalmologie.

INTRODUCTION

L’anisocorie, du grec, an qui signifie privé, isos qui signifie égal et korê qui désigne la pupille, est définie comme une inégalité de taille entre les deux pupilles (1).

Il faut distinguer l’anisocorie physiologique, ou essentielle, de l’anisocorie pathologique. La première concerne jusqu’à 20 % de la population (2), et se définit par une différence de diamètre pupillaire inférieure ou égale à 1 mm, qui variera peu ou pas entre l’exposition à la lumière et à l’obscurité. Cette anisocorie est préalablement souvent connue et/ou ancienne et le réflexe photomoteur (RPM) est normal. L’anisocorie pathologique est diagnostiquée lorsqu’il existe une différence de diamètre supérieure à 1 mm entre les deux pupilles, typiquement plus marquée à la lumière ou à l’obscurité. Dans ce cas, le RPM pourra parfois être affecté, tandis que d’autres anomalies pourraient coexister (douleurs, vision trouble, ptose palpébrale…)

Remarque : Avant toute chose, il convient d’exclure toute cause d’origine mécanique ou médicamenteuse. Pour ceci, la réalisation d’une anamnèse complète et d’un examen à la lampe à fente sont des aides précieuses.

RAPPELS ANATOMIQUES

Muscles de l’iris

Le diamètre pupillaire est contrôlé par l’action de deux muscles antagonistes de l’iris : le muscle constricteur de l’iris ou muscle sphincter situé sur le bord pupillaire dans le stroma postérieur, et le muscle dilatateur de l’iris adoptant une position périphérique par rapport à son antagoniste, et dont les fibres sont disposées de façon radiaire.

Innervation des muscles de l’iris

Leur innervation est assurée par le système nerveux autonome : le muscle sphincter est régi par le système parasympathique (rest or digest) tandis que le muscle dilatateur de l’iris bénéficie d’une innervation sympathique (flight or fight) (3).

Cette innervation autonome explique que la variation du diamètre pupillaire ne soit pas uniquement influencée par l’intensité lumineuse, mais aussi par le maintien d’un certain équilibre de stimulation entre système sympathique et parasympathique. Ainsi, on observe une dilatation pupillaire (mydriase) dans tous les cas qui conduisent à l’augmentation d’une stimulation de l’individu (stress, peur, excitation…) tandis que la pupille se rétrécit (myosis) lors des situations de fatigue, de repos ou de détente (2) (3).

Voies d’innervation des muscles de l’iris (fig.1)

L’innervation parasympathique de l’iris est une voie à 2 neurones (4). Le 1er neurone prend naissance au niveau du cerveau dans le noyau d’Edinger-Westphal et chemine via le nerf oculomoteur commun (ou nerf III) en suivant sa branche inférieure, pour pénétrer dans l’orbite et rejoindre le ganglion ciliaire où il effectue une synapse avec les nerfs ciliaires courts (3). Au nombre de 5 à 10, ils rejoignent le muscle sphincter de l’iris via le pôle postérieur du globe, en perforant la sclère au pourtour du nerf optique (5). Cette voie est indissociable du réflexe photomoteur (RPM) car elle en constitue la voie efférente (3). L’innervation sympathique de l’iris est une voie à 3 neurones (3). Le 1er neurone naît de l’hypothalamus dans le cerveau. Il descend jusqu’au niveau de la moelle épinière dans le centre cilio-spinal de Budge et Waller où il effectue une synapse avec le 2ème neurone. Les axones du 2ème neurone cheminent ensuite à proximité de l’apex pulmonaire puis jusqu’au ganglion cervical supérieur où s’effectue la dernière synapse avec le 3ème neurone. Les axones du 3ème neurone cheminent le long de l’artère carotide interne, traversent le sinus caverneux dans le cerveau, puis atteignent l’orbite en tant que nerfs ciliaires longs. Là, ils perforent la sclère avec leurs homonymes courts, puis cheminent via le tractus uvéal jusqu’à la partie antérieure du globe, où ils parviennent enfin pour innerver le muscle dilatateur de l’iris et le muscle ciliaire destiné à l’accommodation (3).

Figure 1 : Voies d’innervation des muscles de l’iris

Voies du réflexe photomoteur

Le réflexe photomoteur est le réflexe de contraction de la pupille en présence de lumière (6) (fig.2). Il est constitué d’une voie afférente (aller), qui constitue le parcours du signal qui chemine du nerf optique vers le cerveau et d’une voie efférente (retour), qui constitue le parcours du signal émanant du cerveau jusqu’au muscle sphincter de l’iris. (Il s’agit de la voie parasympathique décrite ci-avant.)

La voie afférente est constituée de 2 neurones et va réaliser une double bilatéralisation de l’information. Le 1er neurone est constitué des cellules ganglionnaires de la rétine, qui cheminent, via leurs axones constituant le nerf optique, jusqu’au niveau du chiasma où elles décussent, pour poursuivre leur trajet sous la dénomination de bandelettes optiques. Elles cheminent ensuite par le corps genouillé latéral sans y faire de relais, puis parviennent jusqu’au noyau prétectal dans lequel elles effectuent une synapse avec le 2ème neurone. Ce dernier achèvera de bilatéraliser une seconde fois le signal en projetant sur les noyaux d’Edinger-Westphal droit et gauche.

Figure 2 : Réflexe photomoteur : lorsqu’on éclaire la pupille d’un œil du sujet sain, on observe un réflexe direct (contraction de la pupille homolatérale) et consensuel (contraction de la pupille controlatérale, du fait de la bilatéralisation du signal afférent).

ANISOCORIES PATHOLOGIQUES FRÉQUENTES

On peut distinguer trois manifestations d’anisocorie qui sont plus fréquentes : la pupille d’Adie, le syndrome de Claude Bernard Horner, et la paralysie du nerf oculomoteur. Les deux dernières entités pouvant constituer des urgences.

La pupille d’Adie La pupille d’Adie signale une atteinte parasympathique périphérique, située au niveau du ganglion ciliaire et/ou des nerfs ciliaires courts (3). Au stade initial aigu, la pupille n’est pas encore tonique. On observe seulement une mydriase aréflexique de l’œil atteint, avec parfois une paralysie de l’accommodation symptomatique (le patient voit flou de près) si les fibres destinées au muscle ciliaire sont touchées (2). Avec le temps, il s’opère souvent une réinnervation aberrante des muscles de l’iris par des fibres du contingent accommodatif, c’est la fameuse pupille tonique d’Adie : elle se contracte bien (voire même excessivement) à l’accommodation, mais se relâche plus lentement que l’œil controlatéral lorsque le patient stoppe sa tâche accommodative (inversion momentanée de l’anisocorie) (3) (fig3). Avec les années, la pupille se rétrécit pour passer en myosis et l’anisocorie s’inverse de façon définitive : c’est la pupille d’Adie vieillie (7).

Figure 3 : Pupille tonique d’Adie de l’OD : (1) Anisocorie en lumière ambiante (2) RPM direct altéré (3) RPM consensuel altéré (4) Anisocorie en lumière ambiante (5) Myosis excessif à la convergence (6) Inversion de l’anisocorie lors du relâchement accommodatif (pupille tonique)

Syndrome de Claude Bernard Horner (CBH)

Un syndrome de Claude Bernard Horner témoigne d’une atteinte du système sympathique le long de son trajet (3). Il est caractérisé par la triade : (Pseudo-) Ptose, Myose, Anhidrose, qui n’est pas toujours complète (8).

Le système sympathique cheminant à proximité de nombreuses structures anatomiques, un CBH peut révéler des atteintes très variées (lésion de la moelle épinière, tumeur du poumon avec le syndrome de Pancoast, dissection carotidienne…) (9). En raison de son caractère potentiellement grave, il convient d’éliminer en urgence toute suspicion de dissection de l’artère carotide interne (portion la plus vulnérable de l’artère carotide) (8). L’anhidrose devrait être typiquement absente en cas de dissection carotidienne (les fibres qui régulent les glandes sudoripares, se détachant en amont du contingent oculaire, pour aller suivre le trajet de l’artère carotide externe) (8).

La dissection est souvent accompagnée de douleurs du côté atteint, de localisations rétro-orbitaires, frontales, temporales, mastoïdiennes ou encore cervicales (8). Par mesure de précaution, on considérera que « tout Claude Bernard Horner douloureux est une dissection carotidienne jusqu’à preuve du contraire » (10).

Les risques sont ceux de l’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique (par détachement d’un caillot généré par la dissection, susceptible d’occlure une artère de la circulation cérébrale) (11).

Paralysie du nerf oculomoteur commun

Le nerf oculomoteur, IIIème nerf crânien, est composé de fibres motrices (responsables de l’élévation de la paupière, de l’élévation, de l’abaissement et de l’adduction du globe oculaire) et de fibres parasympathiques (responsables de la constriction pupillaire et de l’accommodation). Son atteinte peut-être complète ou partielle. En effet, différentes affections peuvent entraîner une atteinte parasympathique seule (mydriase et trouble de l’accommodation), une atteinte motrice isolée (ptose palpébrale complète, exotropie, paralysies oculomotrices) ou des deux.

Il est important de distinguer l’atteinte motrice pure de l’atteinte complète (ou même parasympathique pure), car l’étiologie et donc les risques associés ne sont pas les mêmes (12).

Outre quelques exceptions, une atteinte motrice pure fera rechercher une cause ischémique tandis qu’une atteinte complète (ou uniquement parasympathique) fera penser à un anévrisme intracrânien (compression du III par une malformation d’un vaisseau sanguin cérébral) (13) pouvant se rompre et mettre en jeu le pronostic vital par AVC hémorragique (12).

MANAGEMENT DES ANISOCORIES

D’une manière générale, toute anisocorie non connue doit être référée à un ophtalmologue pour un examen médical. Pour l’optométriste, toute suspicion d’un syndrome de Claude Bernard Horner ou d’une paralysie de la IIIème paire de nerf crânien doit conduire à référer en urgence (service d’ophtalmologie si possible), en raison des répercussions potentiellement sévères ou vitales. Le diagnostic d’une anisocorie est souvent complexe, même pour les spécialistes, du fait notamment des réinnervations aberrantes. Il faudra souvent recourir aux collyres pour permettre de poser le bon diagnostic.

CONCLUSION

Le syndrome de Claude Bernard Horner et la paralysie du nerf oculomoteur génèrent des anisocories qu’il faut reconnaître notamment en raison des risques d’accident vasculaire cérébral ischémique ou hémorragique.

Ils font partie des rares urgences ophtalmologiques.

RÉFÉRENCES

  1. Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine [Internet]. [cité 14 janv 2018]. Disponible sur : http://dictionnaire.academie-medecine.fr/?q=anisocorie
  2. Jean-Charles A. Cours d’Optométrie. Septembre 2003. Opto-Com ; 758 p.
  3. Jacob-Lebas M, Vignal-Clermont C. Pathologie pupillaire. Datatraitesop21-45505 [Internet]. 16 nov 2010 [cité 30 sept 2017] ; Disponible sur : http://www.em-consulte.com/en/article/271442
  4. Leonard Levin Siv Nilsson James Ver Hoeve Samuel Wu Paul Kaufman Albert Alm Adler. Physiology of the Eye. 11 th Edition Elsevier Mars 2011
  5. Bishou. Innervation de la pupille [Internet]. Ophtalmologie. 2015 [cité 14 janv 2018]. Disponible sur : https://ophtalmologie.pro/innervation-pupille/
  6. Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine [Internet]. [cité 30 sept 2017]. Disponible sur : http://dictionnaire.academie-medecine.fr/?q=r%C3%A9flexe%20photomoteur
  7. Masson E. Urgences en neuro-ophtalmologie [Internet]. EM-Consulte. [cité 13 sept 2017]. Disponible sur : http://www.em-consulte.com/article/1085856/alertePM
  8. Netgen. Syndrome de Horner partiel et douleurs faciales : un diagnostic à ne pas manquer [Internet]. Revue Médicale Suisse. [cité 14 janv 2018]. Disponible sur : https://www.revmed.ch/RMS/2006/RMS-54/31100
  9. Syndrome de Claude Bernard-Horner : quel bilan et quel est le degré d’urgence ? [Internet]. [cité 14 janv 2018]. Disponible sur : http://www.realites-cardiologiques.com/wp-content/uploads/sites/2/2012/11/RO196_Cr%c3%a9tu.pdf
  10. Somogyi A. ECNi Le Tout-en-un. Elsevier Health Sciences ; 2017. 1415 p.
  11. stenose-carotidienne.pdf [Internet]. [cité 14 janv 2018]. Disponible sur : http://www.ccm.mc/pdf/stenose-carotidienne.pdf
  12. Beynat J, Bidot S, Ricolfi F, Creuzot-Garcher C, Bron A. Paralysie du nerf oculomoteur commun liée à un anévrisme non rompu de la communicante postérieure. /data/revues/01815512/00300010/1024/[Internet]. 9 avr 2008 [cité 27 sept 2017] ; Disponible sur : http://www.em-consulte.com/en/article/138292
  13. Anévrysme — Société Française de Neurochirurgie [Internet]. [cité 14 janv]. Disponible sur : http://www.neurochirurgie.fr/spip.php?article207
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