L’électrophysiologie
OptoMag
20 avril 2023, Marine BICHETJuin 2020 – BICHET Marine
RÉSUMÉ
Les tests d’électrophysiologie font leur apparition dans les cabinets privés, mais ont-ils un réel intérêt par rapport aux tests actuels ?
Mots-clés : ERG, PEV, Glaucome, Amblyopie
INTRODUCTION
Les tests d’électrophysiologie sont connus depuis des décennies, mais leur utilisation confidentielle, car complexe et très invasive était plutôt « réservée » au milieu universitaire. Depuis quelques années sont arrivés sur le marché des appareils qui démocratisent et rendent plus accessible cette technologie. C’est pourquoi de plus en plus de cabinets d’ophtalmologie s’équipent de cette technologie en Suisse, mais aussi les optométristes aux États-Unis. Des études avec le système Diopsys PERG parlent d’une révolution dans le dépistage du glaucome avec des résultats permettant de diagnostiquer un dysfonctionnement des cellules ganglionnaires 8 ans avant les premiers signes à l’OCT et 10 ans avant les premiers déficits du champ visuel. (1-2)
Alors, l’électrophysiologie a-t-elle un réel intérêt dans un cabinet privé ?
MÉTHODES
L’électrophysiologie nécessite des électrodes pour capter le signal électrique induit par un stimulus visuel fourni par un écran ou une coupole. Autrefois très invasives, les électrodes étaient placées directement sur la cornée après une anesthésie topique, et cela pouvait provoquer des lésions. Les nouveaux systèmes ont des électrodes adhésives placées sur les paupières inférieures ne créant aucun inconfort pour le patient.
L’électrorétinogramme (ERG) mesure des signaux électriques émis par la rétine en réponse à un stimulus visuel. Il peut montrer, mesurer une souffrance, un stress des cellules ou une ischémie avant la mort cellulaire ou un évènement néo-vasculaire des cellules rétiniennes. Il y a 2 grands types d’ERG caractérisés par leur stimulus.
- Le full field (champ total) ou ERG Flash qui va permettre de mesurer l’état des cellules sur toute la surface de la rétine. Pour le dépistage précoce du glaucome, il peut mesurer en particulier l’activité et la sensibilité des cônes et des cellules ganglionnaires (7-8). Le stimulus visuel est dit non structuré, car produit avec des flashs sur une coupole blanche. Les stimulus peuvent varier en fonction des appareils et des structures à analyser (7).
- À l’inverse, des stimulations structurées sont nécessaires pour recueillir le Pattern-ERG et l’ERG multifocal et sont caractérisées par la présence de contours ou d’une modulation spatiale. Ce sont des mires de différentes sortes ou « patterns », le plus souvent générés par un écran. On distingue deux ERG de ce type :
- A. Le Pattern ERG, qui ne prend en compte que la partie centrale de la rétine (20 à 30°) et qui mesure plutôt le fonctionnement des cellules ganglionnaires. (8)
- B. L’ERG multifocal concerne aussi la partie centrale un peu plus large (40 à 50°) de la rétine et mesure plutôt le fonctionnement des cônes. (8)
PEV potentiel évoqué visuel ou VEP Visual Evoked Potential (and not Ewok) : mesure l’activité électrique de l’œil, sur toute la voie visuelle jusqu’au cortex visuel V1, (en passant par les voies optiques). Comme pour l’ERG, un stimulus visuel structuré en damier ou non structuré (flash lumineux) peut être utilisé en fonction des appareils. L’avantage du stimulus non structuré est qu’il n’est pas influencé par la qualité des milieux optiques, de l’acuité visuelle ou de la réfraction.
RÉSULTATS
Les tests d’électrophysiologie ont démontré leurs capacités à fournir une aide au diagnostic et au traitement de beaucoup de pathologies incluant : toutes les neuropathies optiques, traumatismes crâniens et scléroses en plaque, mais aussi pour des pathologies plus courantes telles que la DMLA (pour le suivi et l’efficacité du traitement), la rétinopathie diabétique… De plus ils semblent devenir un outil essentiel pour le dépistage du glaucome précoce. (1-2) et également pour le suivi de l’efficacité d’un traitement du glaucome, les effets de ce dernier sur le fonctionnement des cellules ganglionnaires sont visibles après seulement un mois de traitement.
Ces systèmes d’électrophysiologie, en particulier le PEV avec différentes tailles de damiers permettent aussi une prise en charge plus efficace de l’amblyopie chez les enfants. En effet les modifications du PEV sont visibles dès les premières semaines de traitements (5). Ils peuvent aussi avoir une grande utilité comme la mesure objective de l’acuité visuelle, en particulier chez les enfants préverbaux ou les patients de tout âge présentant des troubles moteurs ou d’apprentissage qui empêchent une mesure fiable de l’acuité sur optotype. (6)
Bien que ces systèmes apportent des informations objectives sur les fonctions visuelles, ils sont un très bon complément aux équipements plus traditionnels tels que le champ visuel (donnée subjective) ou l’OCT (donnée objective des structures de la rétine) pour déterminer la source des dysfonctionnements.
L’INTERNATIONAL SOCIETY FOR CLINICAL ELECTROPHYSIOLOGY of Vision a établi des protocoles de prise en charge lors de suspicion de dysfonctionnement des voies visuelles (schéma 1)
Exemple d’utilisation du PERG24 de Diopsys PERG-24 Diopsys
Il stimule les cellules ganglionnaires centrales (24 degrés) avec un réseau de 64 lignes avec deux contrastes différents 100 et 80 %
Le signal mesuré lors de l’ERG représente une courbe sinusoïdale à 3 bosses, définie par sa magnitude et sa phase
La Magnitude en uV représente la force d’un signal de l’ERG résultant d’un stimulus visuel.
Un œil en bonne santé génère une magnitude élevée et plus le contraste diminue plus la magnitude diminue aussi.
Interprétation des résultats
Fig 1 : feuille de résultat du PERG 24 d’un œil en bonne santé.
Les graphiques représentent la MagnitudeD. La MagnitudeD prend en compte la magnitude de tous les signaux de l’ERG ainsi que leur phase. Plus le signal est répétable en magnitude et en phase le long du test plus la magnitude D se rapproche de la magnitude mesurée. Le graphique représente la « somme » de toutes les magnitudes.
Le ratio MagD/Mag montre donc la répétabilité des phases de réponses. Sa valeur est comprise entre 0 et 1.00. Des valeurs faibles indiquent une forte probabilité de dysfonctionnement.
Qualité de l’examen
- Signal qualité VERT : dépend du contact des électrodes sur la peau.
- Ratio du bruit du signal (Signal to noise ratio) SNR. Plus le ratio est bas, plus la qualité et mauvaise.
HOMME, 70 ans
Suivi pour glaucome à angle ouvert pression stable depuis traitement il y 10 ans. Trouble cardiaque et pulmonaire connus, HTA. Rx + 3,00D add + 2,50D av 10/10 ddc.
LAF : IOL en place, PIO 16 mHG
FO c/d 0,5 ddc, OCT stable et CV stable depuis plusieurs années. Suivi à 6 mois.
Contrôle de suivi 21.11.2019
Plainte : Baisse d’acuité visuelle sans amélioration possible même au trou sténopéique depuis quelques semaines. Plainte non visuelle : HTA en hausse, fatigue, essoufflement, maux de tête au réveil.
LAF : IOL en place ddc, PIO 16 mmHG,
FO stable, OCT NO pas de modification, CV stable.
PERG-24 du 21.11.19
Paramètre | OD 100 % | OD 80 % | OS 100 % | OS 80 % |
Mag (uV) | 1,05 | 0,85 | 1.02 | 0,92 |
MagD | 0,66 | 0,51 | 0,63 | 0,59 |
MagD/Mag ratio | 0,65 | 0,60 | 0,62 | 0,65 |
SNR (dB) | 8,9 | 9,4 | 8,5 | 8,6 |
Artefacts | 0 | 0 | 0 | 0 |
Conclusion : Souffrance des cellules ganglionnaires indiquée par l’ERG. Mais demande d’une prise en charge par un pneumologue pour des troubles du sommeil et d’apnée du sommeil.
Contrôle du 16.01.2020
Après appareillage depuis quelques semaines d’un masque respiratoire pour la nuit. Changement de comportement radical, plus d’essoufflement et amélioration de la vision. Acuité visuelle 10/10f ddc, PIO 16 mmH, reste de l’examen en ordre, OCT NO stable.
PERG-24 du 16.01.2020
Paramètre | OD 100 % | OD 80 % | OS 100 % | OS 80 % |
Mag (uV) | 1,05 | 0,95 | 1.05 | 0,95 |
MagD | 0,84 | 0,71 | 0,63 | 0,69 |
MagD/Mag ratio | 0,8 | 0,75 | 0,62 | 0,68 |
SNR (dB) | 8,7 | 8,4 | 8,5 | 8,6 |
Artefacts | 1 | 0 | 0 | 0 |
Analyse des résultats : rien que le code couleur semblable à un OCT, indique une nette amélioration du fonctionnement des cellules ganglionnaires. En effet même si la magnitude est sensiblement identique le ratio MagD/Mag nous indique clairement que les cellules fonctionnent mieux et souffrent moins.
DISCUSSION
Cet exemple montre la grande différence entre l’électrophysiologie et les autres examens connus.
C’est un système qui permet de faire le point sur une situation, mais avec la possibilité d’agir pour améliorer celle-ci, au contraire de l’OCT et du CV ou l’on ne peut que constater des dégradations tant redoutées par les patients.
L’électrophysiologie va prendre de plus en plus de place dans la pratique des cabinets privés, en particulier pour les spécialistes du glaucome grâce à l’amélioration des techniques de plus en plus simples et rapides.
Schéma 1 : Protocole de l’ISCEV
Références
https://iscev.wildapricot.org/
1. Progressive Loss of retinal ganglion cell function precedes structural loss by several years in glaucome suspects. Michael R et al, IOVS 2013
2. Clinical ability of pattern electroretinograms and visual evoked potentials in detecting visual dysfunction in ocular hypertension and glaucoma. Vincenzo Parisi MD et al AAO journal of ophtalmology 2006.
3. History of visua electrophysiology, Jerome SHERMAN, OD ADVANCED OCULAR CARE | APRIL 2017
4. ISCEV guide to visual electrodiagnostic procedures Anthony G. Robson.Josefin Doc Ophthalmol (2018) 136:1–26
5. Vision training with VEP biofeedback in amblyopia after the critical period, Lapajan et al (juin 2020) Docu ophtal
6. VEP estimation of visual acuity: a systematic review Ruth Hamilton, et al, Doc Ophtha (juin 2020)
7. Electrophysiological assessment of retinal ganglion cell functionVittorio Porciatti, DSc.Exp Eye Res. 2015 Dec; 141: 164–170.
8. Comparing three different modes of electroretinography in experimental glaucoma: diagnostic performance and correlation to structure. Laura Wilsey et al Doc Ophthalmol. 2017 Apr; 134(2): 111–128.