Larmes artificielles

OptoMag| 27 juin 2018, Frédéric SABRE

AOR_Optometrie

SABRE Frédéric

JUIN 2018

RÉSUMÉ

Le but de cet article est de classifier de manière « pratique » les larmes artificielles à notre disposition en Suisse. Il s’agit de maîtriser, dans les grandes lignes, le conseil d’instillation d’un produit plutôt qu’un autre dans le schéma de prise en charge de l’œil sec. Pour ce faire, les substituts lacrymaux présents dans le compendium seront détaillés à travers un tableau précédé d’une présentation de leurs différentes compositions et principes actifs.

MOTS CLÉS

Œil sec, larmes artificielles, substituts lacrymaux.

Introduction

Les substituts lacrymaux représentent une approche des plus courantes pour traiter la sécheresse oculaire et sont également utilisés pour les pathologies de la surface oculaire : allergiques1, inflammatoires2, infectieuses3, pour les kératites neurotrophiques et pour les traumatismes de la surface oculaire.

Les différentes prises en charge de l’œil sec sont diverses en fonction de l’atteinte structurelle et des gênes ressenties : éducation et modification environnementales et alimentaires, hygiène palpébrale, larmes artificielles, bouchons méatiques etc.4

Cet article concernant les larmes artificielles, seuls leurs détails seront abordés.

Composition pharmacologique et propriétés

Viscosité et rémanence

Une importante viscosité permet une bonne couverture de la surface oculaire et améliore la rémanence qui représente le temps de résidence du substitut lacrymal dans le film lacrymal.5 Elle risque toutefois, dans le même temps, d’entraîner un flou visuel et des dépôts en séchant.

On distingue les fluides newtoniens, qui, lors du clignement, conservent une viscosité constante, des fluides non-newtionens qui varient de manière non proportionnelle à celui-ci.6

Osmolarité

L’hyperosmolarité lacrymale est un des mécanismes physiopathologiques centraux de la sécheresse oculaire.7

Les collyres hypo-osmotiques semblent toutefois très limités dans le temps.8

pH

Le pH physiologique moyen des larmes se situe autour de 7,5 et varie en fonction de multiples facteurs.9

Le pH d’un collyre influence le confort à l’instillation, la pénétration, solubilisation et stabilité du produit. Les larmes artificielles possèdent donc, pour la plupart, un pH quasi physiologique.

Électrolytes

Les électrolytes permettent la régulation des processus métaboliques dans le film lacrymal.10

Cicatrisation épithéliale

Les larmes artificielles facilitent, de manière générale, la cicatrisation des épithéliums de la surface oculaire grâce à leurs propriétés lubrifiantes.

Classes thérapeutiques

Dérivés du sérum physiologique, ou solutions salines : Chlorure de sodium (NaCl)

Leur efficacité est bien démontrée dans la sécheresse oculaire, ils peuvent également être utiles pour le rinçage des yeux lors de pathologies allergiques de la surface oculaire, de conjonctivites et kératoconjonctivites infectieuses.11

Polymères de vinyle : Acide polyvinylique (PVA), Povidone (PVP)

Ce sont des solutions de faible viscosité qui augmentent la stabilité du film lacrymal. Ils représentent un traitement de première intention dans les cas de sécheresse oculaire légère à modérée.12

Dérivés cellulosiques : Hydroxypropylméthylcellulose (HPMC ou Hypromellose), Carboxyméthylcellulose (CMC ou Carmellose)

Les polymères de méthylcellulose ont une forte viscosité qui varie selon leur concentration et le principe actif. Ils constituent pour la plupart un traitement de première intention de la kératoconjonctivite sèche et leurs propriétés cicatrisantes est à prendre en compte dans le traitement d’ulcères cornéens d’origine mécanique, inflammatoire ou infectieuse.13

Carbomères

Les gels de carbomères offrent peu de résistance à la fermeture des paupières et retrouvent leur viscosité lors de l’ouverture de l’œil. Le « seuil d’écoulement » assure une bonne couverture de la surface oculaire et un temps de rémanence prolongé. Ils ont un haut poids moléculaire et sont des fluides non-newtoniens.14 Ils peuvent toutefois occasionner un flou à l’instillation parfois prolongé ainsi que des dépôts sur les cils avec la dessiccation du gel.15

Ils sont donc plutôt à réserver en 2ème intention dans les cas de sécheresse modérée.6

Hyaluronate de sodium : HS

Le hyaluronate de sodium possède un poids moléculaire variable et constitue un fluide non-newtonien. Sa viscosité augmente avec sa concentration et diminue avec la température.16 Il facilite la cicatrisation épithéliale.17 Il est indiqué en en 3ème intention après échec des substituts lacrymaux de faible viscosité et des gels.6

Hydroxypropyl-guar : HP-guar

Le guar est un polysaccharide hydrosoluble qui a tendance à se gélifier en phase aqueuse. C’est pour cela qu’il est associé à des groupements hydroxypropyl-guar qui en garantissent une meilleure solubilité.18 Il agit comme un mucomimétique et prolonge la rémanence.19

Émulsions lipidiques

Les émulsions lipidiques diffèrent par le type d’huile employé, la technique d’émulsion et le surfactant utilisé pour leur solubilisation. Leurs conceptions et preuves cliniques d’efficacité sont très hétérogènes.20

Osmorégulateurs : Tréhalose, Lévocarnitine et Érythritol

Le tréhalose agit comme un osmorégulateur, un stabilisateur des protéines et un stabilisateur de la bicouche phospholidique.21

L’association CMC-lévocarnitine-érythritol est indiquée en 3ème intention dans le traitement de l’œil sec après échec des solutés de faible viscosité et gels.6

Collyres sécrétagogues : Diquafosol, Rébapimide

Le diquafosol augmente la sécrétion lacrymale et la sécrétion de mucines, renforce la perméabilité de l’épithélium cornéen et accélère la cicatrisation épithéliale cornéenne.22

Le rébapimide protège la barrière épithéliale cornéenne.23 et augmente la production de mucines par l’épithélium conjonctival et cornéen.24

La place de ces collyres dans le traitement des pathologies de la surface oculaire reste à définir.6

CONCLUSION

Les larmes artificielles sont un atout majeur dans la prise en charge de l’œil sec. Établir un choix judicieux dans le conseil pour nos clients/patients est primordial dans cette démarche. Comme rappelé en introduction, d’autres approches aux larmes artificielles font partie intégrante de la prise en charge de l’œil sec. Un bilan optométrique complet constitue la base essentielle pour pouvoir proposer le traitement le plus adapté en fonction de chaque cas clinique.

Voir le tableau de composition des différents produits du marché :

RÉFÉRENCES

1. BIELORY BP. et al. « Management of seasonal allergic conjunctivitis : guide to therapy », Acta ophtalmologica, 2012 ; 5:399-407

2. HOLLAND JE. et al. « Treatment paradigms for the management of severe ocular surface disease » Ocular surface disease : cornea, conjunctiva and tear film, Elsevier, 2013 ; p. 435-8

3. « Conjunctivitis : preferred practice patterns. Oct 2013 », American Academy of Ophtalmology, En ligne : http://one.aao.org/preferred-practice-pattern/conjunctivitis-ppp–2013

4. BEYLERIAN Marie « Indications thérapeutiques du syndrome sec oculaire », Les Cahiers d’Ophtalmologie n°212, 2017 ; p. 29

5. PAUGH JR. et al. « Precorneal residence time of artificial tears measured in dry eye subjects », Optometry and Vision Science, 2008 ; 8 : 725-31

6. ROUSSEAU A. et al. « Substituts lacrymaux » Rapport SFO – Surface oculaire, 2015 ; p. 521-536

7. BAUDOUIN C. et al. « Role of hyperosmolarity in the pathogenesis and management of dry eye disease », Ocular Surface, 2013 ; 4:246-58

8. HOLLY FJ. et al. « Effect of nonisotonic solutions on tear film osmolality », Investigative Ophthalmology & Visual Science, 1981 ; 2:236-45

9. YAMADA M. et al. « Fluorophotometric measurement of pH of human tears in vivo », Current Eye Research, 1997 ; 5:482-6

10. ABELSON MB. et al. « Tear substitues », Eds. Albert & Jakobiec’s principles and practice of ophthalmology 3rd ed., 2008 ; p.287-92

11. BIELORY BP. et al. « Management of seasonal allergic conjunctivitis : guide to therapy », Acta ophthalmologica, 2012 ; 5:399-407

12. SNIBSON GR. et al. « Ocular surface residence times of artificial tear solutions », Cornea, 1992 ; 4:288-93

13. RIDDER WH. et al. « Short-term effects of artificial tears on visual performance in normal subjects », Optometry Visual Science, 2005 ; 5:370-7

14. POULIQUEN P. « Carbomer gels in the treatment of dry eye », Journal Français d’Ophtalmologie, 1999 ; 8:903-13

15. LAROCHE L. et al. « Treatment of dry eye syndrome with lacrimal gel », Journal Français d’Ophtalmologie, 1991 ; 5:321-6

16. RAHMAN MQ. et al. « The effect of pH, dilution, and temperature on the viscosity of ocular lubricants-shift rheological parameters and potential clinical significance », Eye, 2012 ; 12:1579-84

17. SHIMMURA S. et al. « Sodium hyaluronate eyedrops in the treatment of dry eyes », The British Journal of Ophthalmology, 1995 ; 11:1007-11

18. LU C. et al. « Hydroxypropyl guar-borate interactions with tear film mucin and lysozyme », The ACS Journal of Surfaces and Colloids, 2005 ; 22:10032-7

19. MOON SW. et al. « The impact of artificial tears containing hydroxypropyl guar on mucous layer », Cornea, 2010 ; 12:1430-5

20. GEERLING G. et al. « The international workshop on meibomian gland dysfunction », Investigative Ophthalmology & Visual Science, 2011 ; 4:2050-64

21. LUYCKX J. et al. « Trehalose : an intriguing disaccharide with potential for medical application in ophthalmology », Clinical Ophthalmology, 2011 ; 5:577-81

22. MURAKAMI T. et al. « Diquafosol elicits increases in net Cl-transport through P2Y2 receptor stimulation in rabbit conjunctiva », Ophthalmic Research, 2004 ; 2:89-93

23. KIMURA K. et al. « Protection of human corneal epithelial cells from TNF-alpha-induced disruption of barrier function by rebamipide », Investigative Ophthalmology & Visual Science, 2013 ; 4:2572-760

24. URASHIMA H. et al. « Rebamipide increases the amount of mucin-like substances on the conjunctiva and cornea in the N-acetylcysteine-treated in vivo model », Cornea, 2004 ; 6:613-9

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